Enrayer l’impunité pour lutter contre les violences sexuelles liées aux conflits
Les groupes armés ont utilisé la violence et l’esclavage sexuel comme arme de guerre en Centrafrique, et les enfants n’ont point été épargnés par ce fléau. L’impunité ayant perduré durant toutes les années de crises qu’a traversées le pays est l’une des principales raisons de l’accroissement des cas de violences sexuelles. Sous le concept de « Dialogues Virtuels », une discussion sur la question, organisée par le Bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la question des violences sexuelles en période de conflit, s’est tenue, le mardi 17 novembre 2020, avec la participation de la Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général en République centrafricaine et Coordonnatrice humanitaire du système des Nations Unies, Denise Brown, qui représentait la MINUSCA.
Les Dialogues Virtuels sont une plateforme d’échanges d’expériences (histoires et initiatives) concernant la violence sexuelle liée aux conflits et le travail effectué par le Bureau de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la question des violences sexuelles et ses partenaires.
« Comment la lutte contre l’impunité en matière de violences sexuelles liées aux conflits en RCA, peut-elle contribuer à la consolidation de la paix ? » Lors de cette 4e session, les panélistes ont été amenés à réfléchir ensemble à la définition de la justice pour les victimes de violences sexuelles en RCA, aux défis et opportunités pour les juridictions nationales en matière de poursuite des auteurs présumés, ainsi qu’à l’impact, sur la paix en RCA, des efforts déployés par les autorités nationales pour garantir la justice et le rétablissement de l’Etat de droit.
Aux cours des échanges entre experts indépendants, membres de la société civile et responsables d’institutions judiciaires, l’évolution de la perception des populations en ce qui concerne l’accès à la Justice a été longuement examinée. Pour le directeur de recherche auprès de la Harvard Humanitarian Initiative, Patrick Vink, « aucune politique ou décision en matière de justice ne devrait être entreprise sans qu’il y ait une sorte de participation des personnes les plus concernées ; il est important, au minimum, que les personnes soient consultées ».
Une contribution partagée par la Coordonnatrice humanitaire du système des Nations Unies, au vu du tableau peu reluisant dressée par des statistiques récentes. « Une étude faite cette année par la communauté humanitaire en RCA révèle qu’entre 32% et 33% des 16.000 ménages interrogés dans le cadre de l’accès à la justice, jugent difficile l’accès aux services judiciaires. Parmi ceux qui ont réussi, 15% estiment que cet accès est discriminatoire et non équitable (…) Ces défis contribuent à l’impunité de ces crimes, et l’impunité contribue, à son tour, à la stigmatisation des victimes », a-t-elle indiqué, avant de plaider pour une « priorisation des cas » dans le traitement judiciaire des violences sexuelles liées aux conflits. A titre d’exemple, « lors de la dernière session de la Cour criminelle de Bangui avait 25 dossiers inscrits et 22 concernaient les violences sexuelles. Malheureusement la Cour n’a jugé qu’une petite partie de ces dossiers », a révélé Mme Brown.
Cependant, la situation des victimes n’est plus tout à fait sombre. En effet, face à l’ampleur des violences liées aux conflits, diverses actions ont été engagées par les autorités centrafricaines pour tenter de lutter efficacement contre l’impunité des auteurs présumés, selon la spécialiste technique de l’équipe d’experts des Nations Unies sur l’Etat de droit et les violences sexuelles liées aux conflits, Rosine Bela Eyebe.
Il s’agit, notamment de la création et de l’opérationnalisation de l’Unité mixte d’intervention rapide et de répression des violences faites aux femmes et aux enfants (UMIRR) qui a vocation à enquêter sur les violences sexuelles, y compris celles liées aux conflits, les violences basées sur le genre, les violations des droits des enfants et la traite des personnes. « Depuis son opérationnalisation en 2017, l’UMIRR a transmis plus de 1000 procès-verbaux aux procureurs compétents », a fait valoir Mme Eyebe. Le deuxième progrès que l’on peut mentionner est la mise en place de la Cour pénale spéciale (CPS), organe hybride constitué de magistrats nationaux et internationaux créé en 2015 par une loi organique. Compétente pour juger les crimes liés aux conflits, cette fois sur le territoire centrafricain depuis 2003, y compris les violences sexuelles. Une autre avancée est la création, en avril 2020, de la Commission Vérité Justice Réparation Réconciliation (CVJRR). Cette dernière est chargée d’établir la vérité et de situer les responsabilités sur les graves évènements nationaux survenus du 29 mars 1959 au 31 décembre 2019. Elle n’a pas de pouvoir judiciaire, mais collabore étroitement avec la CPS et les autres juridictions nationales dans la recherche de la justice et de la vérité.
« Chaque petit progrès est important pour les personnes soumises à ces crimes. Cela est, certes, un soulagement, mais beaucoup reste à faire », a, pour sa part, reconnu Denise Brown, plaidant par la même occasion afin que « dans la recherche de la paix, la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits reste une priorité qui ne doive pas être sacrifiée pour des choix politiques ».
La lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits est au cœur du mandat de protection des civils confie à la MINUSCA par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Pour mémoire, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, chargée des questions de violences sexuelles dans les conflits, Pramila Patten, avait effectué une visite en République centrafricaine, en mai 2016, appelant les autorités centrafricaines à des « engagements précis » et des « actions concrètes. Un plaidoyer qui a reçu un écho favorable auprès du Président de la République Faustin Archange Touadéra.